Les 8 et 9 octobre 2016 le monde associatif européen avec des experts du champ académique s’est retrouvé à La Rochelle en France pour discuter de la “Démocratie en Europe et des maillons manquants”. 200 militants de plateformes citoyennes, d’organisations dans le domaine de l’action sociale, des droits humains, de l’environnement ou des représentants du monde de la culture en provenance de toute l’Europe ont abordé des questions complexes que posent les frustrations, les pratiques et les aspirations des citoyens vis‐à‐vis de la démocratie, notamment dans le cadre du « déficit démocratique » en Europe.
Le désenchantement des citoyens vis‐à‐vis de la démocratie est croissant. Ils constatent une distance de plus en plus grande entre les programmes électoraux et les politiques mises en œuvre, une opacité des lieux de décisions et des instances accrues de corruption par le croisement des intérêts économiques et des pouvoirs politiques. Notre société se caractérise aussi par l’accroissement des inégalités sociales, des discriminations ou des craintes de se trouver en situation d’exclusion.
Beaucoup se demandent si la démocratie offre le cadre adéquat pour faire valoir et prendre en compte leurs revendications et aspirations, tandis que les populismes réactionnaires se développent sur ce terreau. Comme le souligne Claudia Wiesner, de l’Université de Darmstadt, « la démocratie se définit comme la gouvernance de, pour et par les gens». Elle a également rappelé l’importance du dialogue civil impliquant l’acceptation de la part des institutions d’opinions différentes, et d’un véritable engagement avec la société civile, ce qui pose problème actuellement. Notamment u niveau européen, la méfiance vis-à-vis du projet européen qui avait émergé lors des référendums sur le projet de traité constitutionnel n’a jamais été traitée à la base et par conséquent n’a fait que croitre.
Quant à Filip Balunovic, qui répondait à la question de l’accès aux droits pour certains et au refus pour d’autres, il estime que la déclaration universelle des Droits de l’Homme ne peut s’appliquer à tout le monde, en l’état actuel de la situation socio-économique. Cette émancipation des droits existerait seulement à partir du moment où ces droits ne menacent pas le système économique en place. Pour Martin Sime, le modèle vertical de gouvernance n’est plus à même de répondre aux défis sociétaux actuels, mais la société civile peut et doit s’attaquer aux chaînons manquants dans la démocratie, en faisant face à ses faiblesses.
Si de nombreux citoyens semblent se désengager et renoncer au vote ou aux formes traditionnelles de conflits sociaux, nous assistons en même temps à une multiplication de mobilisations démocratiques, couvrant une diversité de préoccupations, de formes d’actions, de relations au local comme au global.
Les responsables associatifs réunis à la Rochelle ont tenté de mieux comprendre ces développements afin de pouvoir apporter des possibles réponses dans la construction de l’Europe de demain. A travers 7 ateliers abordant un aspect bien spécifique de la démocratie, les participants ont pu approfondir leur analyse et compléter l’état des lieux de la Démocratie en Europe.
Ils ont, par ailleurs, exprimé leur solidarité et assuré de leur soutien les militants de plusieurs Etats membres de l’Union Européenne qui sont venus témoigner du sort qui leur est réservé par des gouvernements et des Institutions nationales hostiles aux corps intermédiaires. Mateusz Kijowski, du mouvement KoD en Pologne, Nora Köves de l’Eötvös Károly Institute (Hongrie) et Claudiu Craciun de Demos (Roumanie) ont ainsi pu faire part de leur expérience activiste mais aussi lancer un appel à la solidarité et pour la préservation des acquis démocratiques européens. M. Kijowski a toutefois rappelé que la Démocratie ne pouvait se (re)construire qu’en incluant tout le monde, en évitant de refaire les mêmes erreurs que par le passé.
Les panelistes réunis autour du thème « Reconstruire la légitimité démocratique par l’engagement citoyen » ont pour leur part pointé le fait que la société civile devait combattre la peur et le repli sur soi par la liberté, comme souligné par Zrinka Bralo. Ils ont également reproché aux gouvernements nationaux de trop souvent se dédouaner de leurs actions, tout en blâmant Bruxelles et l’Union Européenne. Un constat partagé par Jorgo Riss, qui a appelé les participants à demander des comptes à leurs élus nationaux sur les maux de l’Union Européenne.
Le mot de la fin est revenu à Saskia Sassen, sociologue et économiste néerlando-américaine mondialement reconnue, ainsi qu’à Susan J. Schurman, professeur émérite de la Rutgers State University of New Jersey. Mme. Sassen a rappelé à quel point le système économique actuel creusait les inégalités et excluait de facto les plus défavorisés, aussi bien socialement que sur le plan démocratique. Elle a aussi indiqué que de nouveaux modes d’aggrégation pouvaient être la base d’un sursaut de la société civile. Susan Schurman a évoqué de son côté le rôle-clé des organisations de la société civile en tant qu’espaces d’apprentissage du comportement démocratique. Selon elle, seule une réflexion collective, basée sur la volonté des citoyens et sans cadre hiérarchique peut conduire à des alternatives à notre mode de fonctionnement démocratique en crise.
Cette première Académie Civique Européenne lancée par le Forum Civique Européen en lien avec d’autres réseaux associatifs européens a été soutenue par Civil Society Europe, la coordination des organisations de la société civile en Europe. Celle-ci rassemble des plateformes et réseaux européens autour de la promotion d’un espace civique basé sur les droits fondamentaux, le renouvellement de la démocratie européenne et la transparence du processus décisionnel intégrant une véritable participation des acteurs du Dialogue civil.